Ce chapitre, qui comprend six articles, contient, outre des dispositions anciennes, des innovations fort importantes. Les articles 49 , 50 et 51 , qui édictent les sanctions pénales propres à réprimer les violations de la Convention, innovent presque entièrement ; ils ont d'ailleurs pris place sous la même forme dans les quatre Conventions de Genève de 1949.
L'article 52 est relatif à la procédure d'enquête en cas de violation alléguée de la Convention et correspond à l'ancien article 30 de 1929 . Les articles 53 et 54 visent les abus du signe distinctif de la Convention de Genève ; ils existaient déjà, sous une forme plus simple, dans les Conventions de 1906 et de 1929.
Avant d'aborder séparément les articles 49 à 51, il est nécessaire de donner à leur sujet quelques indications d'ordre général et de relater l'évolution du droit et des faits qui a conduit à les introduire dans les Conventions de Genève. L'importance du problème et la nouveauté de ces dispositions nous ont incités à donner une certaine ampleur à cette étude d'ensemble.
La Convention de Genève fait partie de ce qu'on nomme, d'une manière générale, les lois et coutumes de la guerre, dont les violations sont communément appelées « crimes de guerre ». [p.395] Notre propos n'est pas de donner ici un historique de ce vaste problème qui préoccupe, depuis des années, les juristes et les tribunaux de bien des pays. Les nombreuses publications qui ont paru à ce sujet, surtout depuis 1944, ont été assez largement répandues dans le public pour qu'il soit superflu d'en reproduire la substance.
La répression des infractions aux lois et coutumes de la guerre n'est pas chose entièrement nouvelle. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles déjà, on peut trouver quelques exemples de jugements punissant de telles infractions, mais ils sont restés rares et n'ont guère fait jurisprudence. La codification du droit de la guerre, qui est intervenue d'abord à Genève en 1864, puis à La Haye en 1899 et en 1907, n'a pas abouti, dans ce domaine, à une réglementation internationale.
Sans doute la IVe Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre avait-elle statué, dans son article 3 , que la partie belligérante qui violerait les dispositions du Règlement annexé à cette Convention serait tenue à indemnité, s'il y a lieu, et qu'elle serait responsable de tous les actes commis par les personnes faisant partie de ses forces armées, mais cette responsabilité mise à la charge de l'Etat belligérant s'étendait uniquement au domaine pécuniaire. Dans le domaine pénal, les différents Etats étaient laissés entièrement libres de punir ou non les actes commis par leurs propres troupes envers l'ennemi, de même que les actes commis par les troupes ennemies en violation des lois et coutumes de la guerre ; autrement dit, la répression dépendait uniquement de l'existence ou de la non existence de lois nationales réprimant les actes commis.
Cependant, dès la fin de la première guerre mondiale, ce système n'a guère paru satisfaisant, et lorsqu'on élabora le Traité de Versailles, on y incorpora des dispositions tendant à la punition des ressortissants des pays vaincus ayant commis envers les troupes alliées des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. On sait quelle fut la suite de cette prescription du Traité de Versailles et l'on connaît les jugements de Leipzig qui en furent la conséquence.
[p.396] Lors de l'adoption, en 1929, de la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre, la répression de ses violations ne fut pas davantage discutée.
C'est principalement au cours de la seconde guerre mondiale et dans les années qui l'ont suivie que se posa le problème de la punition des criminels de guerre. Les très nombreuses violations commises au cours de la guerre avaient donné un aspect d'actualité à cette question, qui préoccupait d'une manière intense l'opinion publique et les autorités des différents pays.
L'absence de textes internationaux et l'indigence des lois nationales amenèrent la plupart des Etats à promulguer des lois spéciales pour réprimer les crimes de guerre commis par l'ennemi au détriment des populations et des troupes. Bien que, dans la plupart des cas, l'opinion publique ait jugé normale et équitable la punition de ceux qui furent condamnés sur la base de ces législations, il n'en subsista pas moins un certain sentiment d'indécision au sujet de la régularité des jugements prononcés. Au surplus, il n'y a pas unité d'inspiration entre les différents systèmes pénaux. Dans les pays anglo-saxons, en effet, il semble que l'existence d'une règle de droit international, expresse ou coutumière, même si elle ne comporte pas de sanctions, permette aux tribunaux nationaux de prononcer des condamnations lorsque cette règle est violée. Au contraire, dans les pays du continent européen, la loi pénale, pour pouvoir être appliquée, doit comporter non seulement une règle normative, mais aussi des dispositions prévoyant
expressément la sanction, sa nature et sa gravité. Dans ces pays, l'adage nulla poena sine lege garde toute sa valeur.
Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la répression qui est intervenue après la seconde guerre mondiale, il eût été plus satisfaisant de pouvoir s'appuyer sur des règles préexistantes, sans être obligé de recourir à des mesures spéciales.
2. ' Le système particulier de la Ire Convention de Genève '
Parmi les lois et coutumes de la guerre, c'est la Convention de Genève qui, la première, fut dotée d'un système cohérent de normes réprimant la violation de ses dispositions. Certes, la [p.397] Convention de 1864 était encore muette sur ce chapitre. Les délégués des gouvernements représentés à Genève n'avaient sans doute pas prévu la possibilité de telles entorses, car ils ont écarté une disposition du projet conçue pour réprimer certaines infractions ; cette disposition était du reste beaucoup trop étroite (1). Mais, après la guerre de 1870, Gustave Moynier, président du Comité international de la Croix-Rouge, suggéra la création d'une institution judiciaire internationale propre à prévenir et à réprimer les infractions à la Convention de Genève. Reprenant et développant ces idées quelques années plus tard (2), il proposa, pour la réforme souhaitée, deux étapes distinctes : déterminer, tout d'abord, la nature et l'échelle des peines à appliquer aux violateurs des divers articles de la Convention de Genève ; choisir ensuite une organisation judiciaire
acceptable, en dépit du caractère anormal qu'il faudrait bien lui imprimer.
Sur le premier point, Moynier, constatant l'opposition rencontrée par son projet de faire promulguer une loi internationale, propose tout au moins l'adoption d'une loi-type. Il justifie comme suit son point de vue :
«... En laissant à chaque Etat une pleine indépendance pour la rédaction de sa loi pénale, c'est-à-dire pour la détermination des actes à considérer comme des infractions et du traitement à appliquer à leurs auteurs, on se privera de l'avantage principal qu'eût offert une loi internationale : celui d'obtenir que tout individu mal intentionné sache d'avance à quoi il s'expose en bravant la Convention. Sa punition dépendra, en effet, des hasards de la guerre. Il se peut que l'auteur d'un tel forfait soit jugé par ses nationaux, puisque ceux-ci seront tenus de le condamner, s'ils connaissent sa faute, et de lui infliger le châtiment prévu par leur propre législation. Mais il peut arriver aussi que, capturé par l'ennemi victime de sa mauvaise action, devenu ainsi justiciable des tribunaux de ce dernier et passible des peines établies par lui, il soit traité plus ou moins rigoureusement [p.398] qu'il ne l'eût été par ses compatriotes. Cette conséquence fâcheuse serait cependant atténuée si une loi-type était préparée par des personnes
compétentes et présentée officieusement aux divers Gouvernements, avec invitation à l'adopter, en tout ce qui ne serait pas contraire aux principes qu'ils professent. On n'obtiendrait pas de la sorte une uniformité complète, mais on s'en approcherait...»
Pour le second point, Moynier envisage des juridictions neutres chargées d'enquêter sur les infractions commises et de se prononcer sur la culpabilité, mais propose de laisser le prononcé et l'application des peines aux tribunaux nationaux. Son étude se termine par un projet de convention.
En 1895, le problème ainsi posé fit l'objet d'un débat à la session de Cambridge de l'Institut de droit international. L'idée d'une loi pénale internationale fut repoussée ; on se rallia, en revanche, au projet d'une convention internationale, par laquelle chaque Etat s'engagerait à promulguer une loi pénale pour réprimer les infractions à la Convention de Genève. On retint également l'idée d'une loi-type établie par l'Institut de droit international et qui servirait de guide aux législateurs nationaux.
Cependant, sur l'organisation judiciaire préconisée par Moynier on ne parvint pas à s'entendre. De la discussion se dégagea plutôt l'idée d'un organe chargé de contrôler l'exécution de la Convention et de constater les violations, organe pour lequel le nom du Comité international de la Croix-Rouge fut mis en avant. Cette idée, qui réapparaîtra en 1929 (3), s'écarte de notre sujet ; nous n'en suivrons donc pas le développement.
En 1906, lors de la revision de la Convention de Genève, le problème de la répression des infractions fut repris, et il figure dans le questionnaire joint à la circulaire d'invitation du Conseil fédéral. Après une intéressante discussion (4), le principe d'une stipulation à insérer dans la Convention, obligeant les Etats contractants à prendre des mesures législatives concernant la répression des infractions, fut voté à une forte majorité. La quatrième Commission adopta un texte qui prévoit la répression [p.399] de toutes les infractions sans distinction. Mais dans le Rapport final du Comité de rédaction, ce texte est remplacé par l'article 28 , qui ne prévoit plus que la répression de deux infractions : 1) les actes individuels de pillage et de mauvais traitements envers les blessés et les malades des armées ; 2) l'usage abusif du drapeau et du brassard de la Croix-Rouge, qui devra être puni comme usurpation d'insignes militaires. Cette différence, explique le Rapport final, a pour but d'écarter des malentendus, mais ne concerne...
que la forme !
Les Conventions de La Haye de 1899 et 1907 n'ont pas apporté de progrès sensibles en matière répressive. Elles comportent, certes, une série d'interdictions, mais elles n'imposent pas aux Etats contractants l'obligation de promulguer des dispositions pénales réprimant les infractions. Tout au plus la IVe Convention, relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre, prévoit-elle, dans son article premier , que les Puissances contractantes donneront à leurs forces armées de terre des instructions qui seront conformes au Règlement annexé. On peut déduire de cette disposition que si les instructions ont été effectivement données aux forces armées, leur violation devrait entraîner au minimum des peines disciplinaires. Mais il est bien certain qu'une telle formule ne peut pas couvrir les cas dans lesquels les actes délictueux auraient été commis en vertu d'ordres donnés ou de prescriptions générales (ni s'étendre aux actes commis par l'ennemi) (5). Quant à la Xe Convention de La Haye de 1907, relative à l'adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève, elle contient, à l'article 21 , des dispositions analogues à celles de la Convention de 1906.
D'une manière générale, l'invitation de la Convention de 1906 à promulguer des dispositions pénales réprimant deux infractions principales à cette Convention n'eut que peu d'écho ; en 1929, en effet, le Conseil fédéral suisse, gérant de la Convention, n'avait reçu que deux lois pénales, promulguées par les Pays-Bas et la Norvège. Cependant, plusieurs codes pénaux [p.400] militaires, qui avaient été revisés dans l'intervalle, réprimaient les abus du signe de la croix rouge commis en temps de guerre comme usurpations d'insignes militaires, de même que les actes de pillage et de mauvais traitements envers les blessés et malades des armées. Citons à ce sujet une disposition du code pénal militaire suisse de 1927, chapitre VI. On peut également mentionner la loi roumaine du 17 mai 1913, qui punit non seulement l'usurpation de l'insigne de la croix rouge et les actes de pillage et de mauvais traitements envers les blessés, mais aussi les actes commis contre le personnel sanitaire. De même, la loi concernant les délits
militaires, promulguée par l'URSS, en date du 27 juillet 1927, est très complète sur ce point. En outre, un décret cubain, du 15 août 1910, punit ces infractions d'une manière formelle (6).
En 1929, lors de la revision de l'article 28 de la Convention de Genève, l'idée de prévoir la répression de toutes les infractions et non seulement des deux infractions qui avaient été spécifiées en 1906, est reprise. Le projet du Comité international de la Croix-Rouge ajoute, à la fin de l'article 28 de la Convention de 1906 , les termes : « ... et d'une manière générale tous actes contraires aux dispositions de la Convention ». Au cours de la discussion, le délégué des Etats-Unis propose un amendement à l'article 28 qui, sous une forme différente, rejoint le texte du Comité international. Préférence est donnée à cet amendement américain, qui aboutit à l'article 29 de la Convention de Genève de 1929 (7).
Cependant, les Etats parties à la Convention de 1929 ne semblent pas avoir, mieux qu'en 1906, donné suite à l'obligation d'édicter des dispositions pénales réprimant ' toutes ' les infractions à la Convention. Le texte de l'article 29 était pourtant suffisamment clair et impératif. Si certains Etats ne l'ont pas observé et ont omis de promulguer des lois qui répriment toutes les infractions, on ne saurait s'en prendre à la Convention elle-même.
[p.401] Ajoutons que la Commission des Responsabilités, instituée par les Alliés au lendemain de leur victoire de 1918, a dressé la liste des violations des lois et coutumes de la guerre devant être réprimées. Cette liste a été prise par la Commission des crimes de guerre des Nations Unies comme base de ses travaux. On y relève les actes suivants : meurtres et massacres, pillage, bombardements délibérés d'hôpitaux, violation d'autres règles relatives à la croix rouge, mauvais traitements des blessés. On voit par là que la Commission des Responsabilités entendait couvrir les infractions les plus graves à la Convention de 1906 et il est certain que cette liste a influencé les rédacteurs de la Convention de 1929 dans l'élaboration de l'article 29 .
3. ' La Convention de 1949 et les travaux préparatoires '
Les événements de la seconde guerre mondiale ont conduit le Comité international de la Croix-Rouge à la conviction que, dorénavant, toute Convention internationale ayant trait aux lois et coutumes de la guerre devait nécessairement comporter un chapitre réservé à la répression des violations de cette Convention. Son opinion sur ce point fut confirmée par les nombreuses demandes d'intervention dont il fut l'objet en faveur de prisonniers accusés de crimes de guerre et qui, comme nous l'avons vu plus haut, furent jugés sur la base de législations spéciales, en l'absence de textes répressifs dûment établis avant l'ouverture des hostilités. D'un autre côté, le Comité international ne pouvait rester indifférent aux arguments de ceux qui prétendent fonder le respect complet et loyal des Conventions sur l'application de sanctions efficaces à l'égard de ceux qui les violent.
Aussi, le Comité international, bien qu'il ait eu naturellement quelque répugnance à proposer des mesures punitives, attira-t-il l'attention des Conférences d'experts, qui se réunirent à Genève en 1946 et 1947, sur cet important problème. Ces Conférences lui recommandèrent d'en poursuivre l'étude d'une manière plus approfondie.
En 1948, le Comité international présentait à la XVIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge le projet d'article (art. 40), suivant :
«[p.402] Chaque Etat contractant aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'actes contraires à la présente Convention, quelle que soit leur nationalité, et, conformément à ses propres lois ou aux conventions réprimant les actes qui seraient définis comme crimes de guerre, de les déférer à ses propres tribunaux, ou de les remettre pour jugement à un autre Etat contractant.»
Cet article prévoyait donc que certaines violations de la Convention seraient considérées comme crimes de guerre et définissait la manière dont les coupables seraient punis. La formule adoptée s'inspirait du principe aut dedere aut punire, souvent admis en matière d'extradition. En même temps qu'il présentait ce texte à la Conférence, le Comité international soulignait que son étude du problème des sanctions lui paraissait encore incomplète ; il entendait la poursuivre, notamment en raison du développement donné à la répression des crimes de guerre par toute une série de pays et par les Nations Unies elles-mêmes.
La XVIIe Conférence internationale invita le Comité international à poursuivre ses études dans ce domaine et à en soumettre le résultat à une Conférence ultérieure.
Donnant suite à cette invitation, le Comité international de la Croix-Rouge convoqua à Genève, au début de décembre 1948, quatre experts internationaux et fit avec eux un examen approfondi de la question. Il en résulta un projet de quatre nouveaux articles à incorporer dans chacune des quatre Conventions de Genève et relatifs aux sanctions à appliquer aux personnes ayant violé les dispositions de ces Conventions (8).
[p.403] On trouvera dans la brochure ' Remarques et Propositions du Comité international de la Croix-Rouge ', établie à l'intention de la Conférence diplomatique (pages 18 à 23), un bref exposé des motifs qui ont amené le Comité à présenter ce projet. Les experts convoqués ont admis la nécessité de ne pas laisser impunies les infractions aux Conventions de Genève. C'est pourquoi chaque Etat contractant doit promulguer la législation nécessaire dans un délai de deux ans ; le contrôle de l'exécution de cette obligation est assuré automatiquement par la communication des mesures prises à l'Etat gérant.
[p.404] L'universalité de la juridiction pour les violations graves permet d'espérer que celles-ci ne resteront pas impunies et l'obligation d'extrader concourt à l'universalité de la répression. D'autre part, l'influence de l'ordre d'un supérieur hiérarchique ou d'une prescription officielle sur la responsabilité de l'auteur de l'acte commis est expressément prévue et précisée. Enfin, les experts ont admis que les personnes inculpées devaient, malgré la réprobation que de tels actes soulèvent, bénéficier de garanties de juridiction et de procédure. Le Comité international avait eu l'occasion de leur exposer les expériences faites par lui dans ce domaine.
A la Conférence diplomatique de 1949, le problème des sanctions pénales à prévoir pour la violation des Conventions fut confié à l'examen de la Commission dite Mixte, chargée d'examiner l'ensemble des dispositions communes aux quatre Conventions. Les projets de textes du Comité international de la Croix-Rouge n'avaient pu parvenir aux gouvernements que peu de temps avant l'ouverture de la Conférence, de sorte que plusieurs délégations s'opposèrent à ce qu'elles fussent prises comme base de discussion. Cependant, la délégation néerlandaise les ayant faites siennes, la Conférence s'en trouva officiellement saisie. Tout au plus leur examen fut-il ajourné de quelques semaines.
En commentant chacun des articles nouveaux, nous aurons l'occasion d'évoquer les débats qui ont abouti à leur adoption. Nous relèverons simplement ici l'ampleur du travail préparatoire qui fut accompli en marge de la Conférence et nous rendrons hommage à M. le Juge M. W. Mouton, membre de la délégation néerlandaise, qui en fut le principal artisan. Finalement, dix délégations présentèrent un texte commun qui fut, après quelques retouches, adopté par la Conférence (9).
[p.405] 4. ' Perspectives d'avenir '
Le Congrès pour l'unification du droit pénal, réuni à Bruxelles en 1947, a examiné le problème de la punition des crimes de guerre.
De leur côté, les Nations Unies ont chargé la Commission du Droit international de préparer un code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. Ce code, dont la rédaction a été achevée par la Commission du Droit international au cours de sa session de 1951, prévoit la répression d'une série d'infractions, parmi lesquelles figurent, à l'article 2, chiffre 11, les actes commis en violation des lois et coutumes de la guerre.
Fait significatif, la Commission du Droit international est partie de l'idée que de telles infractions apportent un trouble certain aux rapports entre les peuples et qu'elles peuvent aggraver encore les dissensions qui ont amené à l'état de guerre, contribuant ainsi à rendre plus difficile le rétablissement de la paix.
Cette Commission toutefois n'a pas dressé la liste des violations des lois et coutumes de la guerre à considérer comme des crimes de guerre. Elle a estimé, en effet, que ces lois et coutumes de la guerre n'avaient pas la précision nécessaire pour autoriser une telle énumération. Elle a préféré une formule [p.406] générale qui pût s'adapter à l'évolution du droit international.
Il résulte donc de ces travaux qu'à côté des Conventions de Genève, une réglementation pénale pourrait intervenir, sur le plan international, pour réprimer les infractions à ces Conventions ; la sanction pénale s'en trouverait ainsi assurée par une double voie.
Parallèlement aux travaux de la Commission du Droit international, l'Assemblée générale des Nations Unies, lors de sa session de 1950, a constitué un Comité spécial chargé d'élaborer un projet de juridiction pénale internationale. Ce Comité, qui a siégé au cours de l'été 1951, a, en établissant le projet de statut d'une Cour pénale internationale, examiné quel serait le genre d'infractions dont cette Cour aurait à connaître. Tout en adoptant une formule très générale, il a envisagé que, parmi les infractions à soumettre à cette Cour, devraient figurer les infractions aux lois et coutumes de la guerre.
Notes: (1) [(1) p.397] L'article 10 du projet était ainsi
rédigé : « Ceux qui n'ayant pas le droit de porter
le brassard, le prendraient pour commettre des actes
d'espionnage, seront punis avec toute la rigueur des
lois militaires ». Une disposition analogue fut
proposée à la Conférence diplomatique de 1868 qui
étudia la revision de la Convention de Genève, mais
elle fut derechef écartée;
(2) [(2) p.397] ' Considérations sur la sanction pénale
à donner à la Convention de Genève ', par
G. Moynier, Genève 1893;
(3) [(1) p.398] Voir Paul Des Gouttes, ' Commentaire ',
p. 212;
(4) [(2) p.398] ' Actes de la Conférence de 1906 ',
pp. 158-200;
(5) [(1) p.399] Le Règlement de 1907 (art. 23 lettre f)
interdit d'user indûment des signes distinctifs de
la Convention de Genève;
(6) [(1) p.400] Voir ' Recueil de textes relatifs à
l'application de la Convention de Genève ';
(7) [(2) p.400] ' Actes de la Conférence de 1929 ',
pp. 332-336;
(8) [(1) p.402] Voici le texte de ces articles :
I. ' Mesures législatives '.
Les Hautes Parties contractantes s'engagent à
incorporer la présente Convention dans leur droit
national, à assurer la poursuite de tout acte
contraire à ses clauses, et à édicter les
dispositions propres à en réprimer les violations,
par des sanctions pénales ou par des mesures
disciplinaires appropriées.
Dans le délai de deux ans dès la ratification de
la présente Convention, les Parties s'engagent à
communiquer au Conseil fédéral suisse, pour
transmission à tous les Etats signataires ou
adhérents, la législation et les autres mesures
adoptées en exécution de cet article.
II. ' Violations graves '.
Sans préjudice de la disposition précédente,
les violations graves de la présente Convention
seront punies comme crimes contre le droit des gens
par les tribunaux de l'une quelconque des Parties
contractantes, ou par la juridiction internationale
dont elles auraient reconnu la compétence. Ces
violations sont notamment celles entraînant la mort,
des souffrances inhumaines, une atteinte grave à
l'intégrité physique ou à la santé, à la
liberté ou à la dignité des personnes, des
destructions importantes de biens, ou celles qui, par
leur nature ou leur répétition, manifestent un
mépris systématique de la présente Convention.
Chaque Partie contractante établira,
conformément à l'article précédent, les règles
adéquates pour l'extradition des personnes
prévenues de telles infractions graves dans les cas
où elle ne les traduirait pas devant ses propres
tribunaux.
III. ' Ordre supérieur '.
Le fait, pour l'inculpé, d'avoir agi sur l'ordre
d'un supérieur ou en exécution d'une prescription
officielle, ne constitue pas une excuse légale si
l'accusation établit que, d'après les
circonstances, l'inculpé pouvait raisonnablement se
rendre compte qu'il participait à une violation de
la présente Convention. Toutefois, si les
circonstances le justifient, la peine pourra être
atténuée ou exclue à son égard.
L'auteur de l'ordre coupable en reste pleinement
responsable, même s'il a agi dans l'exercice d'une
fonction d'Etat.
IV. ' Garanties '.
Les Hautes Parties contractantes s'engagent à ne
déférer les personnes inculpées d'une violation de
la présente Convention, quelle que soit leur
nationalité, à aucune juridiction exceptionnelle,
et à ne pas leur appliquer des dispositions
répressives et de procédure plus défavorables que
celles visant leurs propres ressortissants ou qui
seraient contraires aux principes généraux du droit
et de l'humanité. Elles assureront aux inculpés
tous les droits de défense et de recours prévus par
le droit commun.
Les garanties de procédure et de libre défense
ne doivent en aucun cas être inférieures à celles
prévues par les articles 95 et suivants de la
Convention relative au traitement des prisonniers de
guerre.
Des garanties similaires seront assurées en cas
de renvoi à une juridiction internationale;
(9) [(1) p.404] Voici le texte de cet amendement dans les
' Actes de la Conférence ', III, p. 42 :
' Article A '. « Dans la mesure où l'application de
la présente Convention n'est pas assurée d'une
autre manière, les Hautes Parties contractantes
s'engagent à prendre, conformément à leurs
constitutions respectives, les mesures législatives
nécessaires, pour déterminer les peines applicables
aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de
commettre l'une ou l'autre des infractions graves
définies à l'article suivant.
« Chaque Partie contractante aura l'obligation de
rechercher les personnes prévenues d'avoir commis ou
d'avoir ordonné de commettre l'une ou l'autre des
infractions graves ci-dessus mentionnées, et elle
devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle
que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si
elle le préfère, les remettre, pour être jugées,
à une autre Partie contractante intéressée à la
poursuite, pour autant que cette Partie contractante
ait retenu contre lesdites personnes une inculpation
paraissant fondée à première vue. Chaque Partie
contractante prendra les mesures nécessaires en vue
de la répression de tous les actes contraires aux
dispositions de la présente Convention autres que
les infractions graves ci-dessus mentionnées. »
' Article B '. « Les infractions graves visées par
l'article précédent sont celles qui comportent l'un
ou l'autre des actes suivants s'ils sont commis à
l'encontre de personnes ou de biens protégés par la
Convention :
Convention « blessés et malades »
« L'homicide intentionnel, la torture ou les mauvais
traitements, y compris les expériences biologiques,
le fait de causer intentionnellement de grandes
souffrances ou de porter des atteintes graves à
l'intégrité physique ou à la santé, la
destruction de biens illicite, délibérée et de
grande envergure, non justifiée par des nécessités
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Convention (I) de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949.
Commentaire de 1952
[p.394] CHAPITRE IX
DE LA REPRESSION DES ABUS ET DES INFRACTIONS
Ce chapitre, qui comprend six articles, contient, outre des dispositions anciennes, des innovations fort importantes. Les articles 49 , 50 et 51 , qui édictent les sanctions pénales propres à réprimer les violations de la Convention, innovent presque entièrement ; ils ont d'ailleurs pris place sous la même forme dans les quatre Conventions de Genève de 1949.
L'article 52 est relatif à la procédure d'enquête en cas de violation alléguée de la Convention et correspond à l'ancien article 30 de 1929 . Les articles 53 et 54 visent les abus du signe distinctif de la Convention de Genève ; ils existaient déjà, sous une forme plus simple, dans les Conventions de 1906 et de 1929.
Avant d'aborder séparément les articles 49 à 51, il est nécessaire de donner à leur sujet quelques indications d'ordre général et de relater l'évolution du droit et des faits qui a conduit à les introduire dans les Conventions de Genève. L'importance du problème et la nouveauté de ces dispositions nous ont incités à donner une certaine ampleur à cette étude d'ensemble.
Les sanctions pénales (Articles 49 à 51)
1. ' Généralités '
La Convention de Genève fait partie de ce qu'on nomme, d'une manière générale, les lois et coutumes de la guerre, dont les violations sont communément appelées « crimes de guerre ». [p.395] Notre propos n'est pas de donner ici un historique de ce vaste problème qui préoccupe, depuis des années, les juristes et les tribunaux de bien des pays. Les nombreuses publications qui ont paru à ce sujet, surtout depuis 1944, ont été assez largement répandues dans le public pour qu'il soit superflu d'en reproduire la substance.
La répression des infractions aux lois et coutumes de la guerre n'est pas chose entièrement nouvelle. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles déjà, on peut trouver quelques exemples de jugements punissant de telles infractions, mais ils sont restés rares et n'ont guère fait jurisprudence. La codification du droit de la guerre, qui est intervenue d'abord à Genève en 1864, puis à La Haye en 1899 et en 1907, n'a pas abouti, dans ce domaine, à une réglementation internationale.
Sans doute la IVe Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre avait-elle statué, dans son article 3 , que la partie belligérante qui violerait les dispositions du Règlement annexé à cette Convention serait tenue à indemnité, s'il y a lieu, et qu'elle serait responsable de tous les actes commis par les personnes faisant partie de ses forces armées, mais cette responsabilité mise à la charge de l'Etat belligérant s'étendait uniquement au domaine pécuniaire. Dans le domaine pénal, les différents Etats étaient laissés entièrement libres de punir ou non les actes commis par leurs propres troupes envers l'ennemi, de même que les actes commis par les troupes ennemies en violation des lois et coutumes de la guerre ; autrement dit, la répression dépendait uniquement de l'existence ou de la non existence de lois nationales réprimant les actes commis.
Cependant, dès la fin de la première guerre mondiale, ce système n'a guère paru satisfaisant, et lorsqu'on élabora le Traité de Versailles, on y incorpora des dispositions tendant à la punition des ressortissants des pays vaincus ayant commis envers les troupes alliées des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. On sait quelle fut la suite de cette prescription du Traité de Versailles et l'on connaît les jugements de Leipzig qui en furent la conséquence.
[p.396] Lors de l'adoption, en 1929, de la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre, la répression de ses violations ne fut pas davantage discutée.
C'est principalement au cours de la seconde guerre mondiale et dans les années qui l'ont suivie que se posa le problème de la punition des criminels de guerre. Les très nombreuses violations commises au cours de la guerre avaient donné un aspect d'actualité à cette question, qui préoccupait d'une manière intense l'opinion publique et les autorités des différents pays.
L'absence de textes internationaux et l'indigence des lois nationales amenèrent la plupart des Etats à promulguer des lois spéciales pour réprimer les crimes de guerre commis par l'ennemi au détriment des populations et des troupes. Bien que, dans la plupart des cas, l'opinion publique ait jugé normale et équitable la punition de ceux qui furent condamnés sur la base de ces législations, il n'en subsista pas moins un certain sentiment d'indécision au sujet de la régularité des jugements prononcés. Au surplus, il n'y a pas unité d'inspiration entre les différents systèmes pénaux. Dans les pays anglo-saxons, en effet, il semble que l'existence d'une règle de droit international, expresse ou coutumière, même si elle ne comporte pas de sanctions, permette aux tribunaux nationaux de prononcer des condamnations lorsque cette règle est violée. Au contraire, dans les pays du continent européen, la loi pénale, pour pouvoir être appliquée, doit comporter non seulement une règle normative, mais aussi des dispositions prévoyant
expressément la sanction, sa nature et sa gravité. Dans ces pays, l'adage nulla poena sine lege garde toute sa valeur.
Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la répression qui est intervenue après la seconde guerre mondiale, il eût été plus satisfaisant de pouvoir s'appuyer sur des règles préexistantes, sans être obligé de recourir à des mesures spéciales.
2. ' Le système particulier de la Ire Convention de Genève '
Parmi les lois et coutumes de la guerre, c'est la Convention de Genève qui, la première, fut dotée d'un système cohérent de normes réprimant la violation de ses dispositions. Certes, la [p.397] Convention de 1864 était encore muette sur ce chapitre. Les délégués des gouvernements représentés à Genève n'avaient sans doute pas prévu la possibilité de telles entorses, car ils ont écarté une disposition du projet conçue pour réprimer certaines infractions ; cette disposition était du reste beaucoup trop étroite (1). Mais, après la guerre de 1870, Gustave Moynier, président du Comité international de la Croix-Rouge, suggéra la création d'une institution judiciaire internationale propre à prévenir et à réprimer les infractions à la Convention de Genève. Reprenant et développant ces idées quelques années plus tard (2), il proposa, pour la réforme souhaitée, deux étapes distinctes : déterminer, tout d'abord, la nature et l'échelle des peines à appliquer aux violateurs des divers articles de la Convention de Genève ; choisir ensuite une organisation judiciaire
acceptable, en dépit du caractère anormal qu'il faudrait bien lui imprimer.
Sur le premier point, Moynier, constatant l'opposition rencontrée par son projet de faire promulguer une loi internationale, propose tout au moins l'adoption d'une loi-type. Il justifie comme suit son point de vue :
«... En laissant à chaque Etat une pleine indépendance pour la rédaction de sa loi pénale, c'est-à-dire pour la détermination des actes à considérer comme des infractions et du traitement à appliquer à leurs auteurs, on se privera de l'avantage principal qu'eût offert une loi internationale : celui d'obtenir que tout individu mal intentionné sache d'avance à quoi il s'expose en bravant la Convention. Sa punition dépendra, en effet, des hasards de la guerre. Il se peut que l'auteur d'un tel forfait soit jugé par ses nationaux, puisque ceux-ci seront tenus de le condamner, s'ils connaissent sa faute, et de lui infliger le châtiment prévu par leur propre législation. Mais il peut arriver aussi que, capturé par l'ennemi victime de sa mauvaise action, devenu ainsi justiciable des tribunaux de ce dernier et passible des peines établies par lui, il soit traité plus ou moins rigoureusement [p.398] qu'il ne l'eût été par ses compatriotes. Cette conséquence fâcheuse serait cependant atténuée si une loi-type était préparée par des personnes
compétentes et présentée officieusement aux divers Gouvernements, avec invitation à l'adopter, en tout ce qui ne serait pas contraire aux principes qu'ils professent. On n'obtiendrait pas de la sorte une uniformité complète, mais on s'en approcherait...»
Pour le second point, Moynier envisage des juridictions neutres chargées d'enquêter sur les infractions commises et de se prononcer sur la culpabilité, mais propose de laisser le prononcé et l'application des peines aux tribunaux nationaux. Son étude se termine par un projet de convention.
En 1895, le problème ainsi posé fit l'objet d'un débat à la session de Cambridge de l'Institut de droit international. L'idée d'une loi pénale internationale fut repoussée ; on se rallia, en revanche, au projet d'une convention internationale, par laquelle chaque Etat s'engagerait à promulguer une loi pénale pour réprimer les infractions à la Convention de Genève. On retint également l'idée d'une loi-type établie par l'Institut de droit international et qui servirait de guide aux législateurs nationaux.
Cependant, sur l'organisation judiciaire préconisée par Moynier on ne parvint pas à s'entendre. De la discussion se dégagea plutôt l'idée d'un organe chargé de contrôler l'exécution de la Convention et de constater les violations, organe pour lequel le nom du Comité international de la Croix-Rouge fut mis en avant. Cette idée, qui réapparaîtra en 1929 (3), s'écarte de notre sujet ; nous n'en suivrons donc pas le développement.
En 1906, lors de la revision de la Convention de Genève, le problème de la répression des infractions fut repris, et il figure dans le questionnaire joint à la circulaire d'invitation du Conseil fédéral. Après une intéressante discussion (4), le principe d'une stipulation à insérer dans la Convention, obligeant les Etats contractants à prendre des mesures législatives concernant la répression des infractions, fut voté à une forte majorité. La quatrième Commission adopta un texte qui prévoit la répression [p.399] de toutes les infractions sans distinction. Mais dans le Rapport final du Comité de rédaction, ce texte est remplacé par l'article 28 , qui ne prévoit plus que la répression de deux infractions : 1) les actes individuels de pillage et de mauvais traitements envers les blessés et les malades des armées ; 2) l'usage abusif du drapeau et du brassard de la Croix-Rouge, qui devra être puni comme usurpation d'insignes militaires. Cette différence, explique le Rapport final, a pour but d'écarter des malentendus, mais ne concerne...
que la forme !
Les Conventions de La Haye de 1899 et 1907 n'ont pas apporté de progrès sensibles en matière répressive. Elles comportent, certes, une série d'interdictions, mais elles n'imposent pas aux Etats contractants l'obligation de promulguer des dispositions pénales réprimant les infractions. Tout au plus la IVe Convention, relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre, prévoit-elle, dans son article premier , que les Puissances contractantes donneront à leurs forces armées de terre des instructions qui seront conformes au Règlement annexé. On peut déduire de cette disposition que si les instructions ont été effectivement données aux forces armées, leur violation devrait entraîner au minimum des peines disciplinaires. Mais il est bien certain qu'une telle formule ne peut pas couvrir les cas dans lesquels les actes délictueux auraient été commis en vertu d'ordres donnés ou de prescriptions générales (ni s'étendre aux actes commis par l'ennemi) (5). Quant à la Xe Convention de La Haye de 1907, relative à l'adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève, elle contient, à l'article 21 , des dispositions analogues à celles de la Convention de 1906.
D'une manière générale, l'invitation de la Convention de 1906 à promulguer des dispositions pénales réprimant deux infractions principales à cette Convention n'eut que peu d'écho ; en 1929, en effet, le Conseil fédéral suisse, gérant de la Convention, n'avait reçu que deux lois pénales, promulguées par les Pays-Bas et la Norvège. Cependant, plusieurs codes pénaux [p.400] militaires, qui avaient été revisés dans l'intervalle, réprimaient les abus du signe de la croix rouge commis en temps de guerre comme usurpations d'insignes militaires, de même que les actes de pillage et de mauvais traitements envers les blessés et malades des armées. Citons à ce sujet une disposition du code pénal militaire suisse de 1927, chapitre VI. On peut également mentionner la loi roumaine du 17 mai 1913, qui punit non seulement l'usurpation de l'insigne de la croix rouge et les actes de pillage et de mauvais traitements envers les blessés, mais aussi les actes commis contre le personnel sanitaire. De même, la loi concernant les délits
militaires, promulguée par l'URSS, en date du 27 juillet 1927, est très complète sur ce point. En outre, un décret cubain, du 15 août 1910, punit ces infractions d'une manière formelle (6).
En 1929, lors de la revision de l'article 28 de la Convention de Genève, l'idée de prévoir la répression de toutes les infractions et non seulement des deux infractions qui avaient été spécifiées en 1906, est reprise. Le projet du Comité international de la Croix-Rouge ajoute, à la fin de l'article 28 de la Convention de 1906 , les termes : « ... et d'une manière générale tous actes contraires aux dispositions de la Convention ». Au cours de la discussion, le délégué des Etats-Unis propose un amendement à l'article 28 qui, sous une forme différente, rejoint le texte du Comité international. Préférence est donnée à cet amendement américain, qui aboutit à l'article 29 de la Convention de Genève de 1929 (7).
Cependant, les Etats parties à la Convention de 1929 ne semblent pas avoir, mieux qu'en 1906, donné suite à l'obligation d'édicter des dispositions pénales réprimant ' toutes ' les infractions à la Convention. Le texte de l'article 29 était pourtant suffisamment clair et impératif. Si certains Etats ne l'ont pas observé et ont omis de promulguer des lois qui répriment toutes les infractions, on ne saurait s'en prendre à la Convention elle-même.
[p.401] Ajoutons que la Commission des Responsabilités, instituée par les Alliés au lendemain de leur victoire de 1918, a dressé la liste des violations des lois et coutumes de la guerre devant être réprimées. Cette liste a été prise par la Commission des crimes de guerre des Nations Unies comme base de ses travaux. On y relève les actes suivants : meurtres et massacres, pillage, bombardements délibérés d'hôpitaux, violation d'autres règles relatives à la croix rouge, mauvais traitements des blessés. On voit par là que la Commission des Responsabilités entendait couvrir les infractions les plus graves à la Convention de 1906 et il est certain que cette liste a influencé les rédacteurs de la Convention de 1929 dans l'élaboration de l'article 29 .
3. ' La Convention de 1949 et les travaux préparatoires '
Les événements de la seconde guerre mondiale ont conduit le Comité international de la Croix-Rouge à la conviction que, dorénavant, toute Convention internationale ayant trait aux lois et coutumes de la guerre devait nécessairement comporter un chapitre réservé à la répression des violations de cette Convention. Son opinion sur ce point fut confirmée par les nombreuses demandes d'intervention dont il fut l'objet en faveur de prisonniers accusés de crimes de guerre et qui, comme nous l'avons vu plus haut, furent jugés sur la base de législations spéciales, en l'absence de textes répressifs dûment établis avant l'ouverture des hostilités. D'un autre côté, le Comité international ne pouvait rester indifférent aux arguments de ceux qui prétendent fonder le respect complet et loyal des Conventions sur l'application de sanctions efficaces à l'égard de ceux qui les violent.
Aussi, le Comité international, bien qu'il ait eu naturellement quelque répugnance à proposer des mesures punitives, attira-t-il l'attention des Conférences d'experts, qui se réunirent à Genève en 1946 et 1947, sur cet important problème. Ces Conférences lui recommandèrent d'en poursuivre l'étude d'une manière plus approfondie.
En 1948, le Comité international présentait à la XVIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge le projet d'article (art. 40), suivant :
«[p.402] Chaque Etat contractant aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'actes contraires à la présente Convention, quelle que soit leur nationalité, et, conformément à ses propres lois ou aux conventions réprimant les actes qui seraient définis comme crimes de guerre, de les déférer à ses propres tribunaux, ou de les remettre pour jugement à un autre Etat contractant.»
Cet article prévoyait donc que certaines violations de la Convention seraient considérées comme crimes de guerre et définissait la manière dont les coupables seraient punis. La formule adoptée s'inspirait du principe aut dedere aut punire, souvent admis en matière d'extradition. En même temps qu'il présentait ce texte à la Conférence, le Comité international soulignait que son étude du problème des sanctions lui paraissait encore incomplète ; il entendait la poursuivre, notamment en raison du développement donné à la répression des crimes de guerre par toute une série de pays et par les Nations Unies elles-mêmes.
La XVIIe Conférence internationale invita le Comité international à poursuivre ses études dans ce domaine et à en soumettre le résultat à une Conférence ultérieure.
Donnant suite à cette invitation, le Comité international de la Croix-Rouge convoqua à Genève, au début de décembre 1948, quatre experts internationaux et fit avec eux un examen approfondi de la question. Il en résulta un projet de quatre nouveaux articles à incorporer dans chacune des quatre Conventions de Genève et relatifs aux sanctions à appliquer aux personnes ayant violé les dispositions de ces Conventions (8).
[p.403] On trouvera dans la brochure ' Remarques et Propositions du Comité international de la Croix-Rouge ', établie à l'intention de la Conférence diplomatique (pages 18 à 23), un bref exposé des motifs qui ont amené le Comité à présenter ce projet. Les experts convoqués ont admis la nécessité de ne pas laisser impunies les infractions aux Conventions de Genève. C'est pourquoi chaque Etat contractant doit promulguer la législation nécessaire dans un délai de deux ans ; le contrôle de l'exécution de cette obligation est assuré automatiquement par la communication des mesures prises à l'Etat gérant.
[p.404] L'universalité de la juridiction pour les violations graves permet d'espérer que celles-ci ne resteront pas impunies et l'obligation d'extrader concourt à l'universalité de la répression. D'autre part, l'influence de l'ordre d'un supérieur hiérarchique ou d'une prescription officielle sur la responsabilité de l'auteur de l'acte commis est expressément prévue et précisée. Enfin, les experts ont admis que les personnes inculpées devaient, malgré la réprobation que de tels actes soulèvent, bénéficier de garanties de juridiction et de procédure. Le Comité international avait eu l'occasion de leur exposer les expériences faites par lui dans ce domaine.
A la Conférence diplomatique de 1949, le problème des sanctions pénales à prévoir pour la violation des Conventions fut confié à l'examen de la Commission dite Mixte, chargée d'examiner l'ensemble des dispositions communes aux quatre Conventions. Les projets de textes du Comité international de la Croix-Rouge n'avaient pu parvenir aux gouvernements que peu de temps avant l'ouverture de la Conférence, de sorte que plusieurs délégations s'opposèrent à ce qu'elles fussent prises comme base de discussion. Cependant, la délégation néerlandaise les ayant faites siennes, la Conférence s'en trouva officiellement saisie. Tout au plus leur examen fut-il ajourné de quelques semaines.
En commentant chacun des articles nouveaux, nous aurons l'occasion d'évoquer les débats qui ont abouti à leur adoption. Nous relèverons simplement ici l'ampleur du travail préparatoire qui fut accompli en marge de la Conférence et nous rendrons hommage à M. le Juge M. W. Mouton, membre de la délégation néerlandaise, qui en fut le principal artisan. Finalement, dix délégations présentèrent un texte commun qui fut, après quelques retouches, adopté par la Conférence (9).
[p.405] 4. ' Perspectives d'avenir '
Le Congrès pour l'unification du droit pénal, réuni à Bruxelles en 1947, a examiné le problème de la punition des crimes de guerre.
De leur côté, les Nations Unies ont chargé la Commission du Droit international de préparer un code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. Ce code, dont la rédaction a été achevée par la Commission du Droit international au cours de sa session de 1951, prévoit la répression d'une série d'infractions, parmi lesquelles figurent, à l'article 2, chiffre 11, les actes commis en violation des lois et coutumes de la guerre.
Fait significatif, la Commission du Droit international est partie de l'idée que de telles infractions apportent un trouble certain aux rapports entre les peuples et qu'elles peuvent aggraver encore les dissensions qui ont amené à l'état de guerre, contribuant ainsi à rendre plus difficile le rétablissement de la paix.
Cette Commission toutefois n'a pas dressé la liste des violations des lois et coutumes de la guerre à considérer comme des crimes de guerre. Elle a estimé, en effet, que ces lois et coutumes de la guerre n'avaient pas la précision nécessaire pour autoriser une telle énumération. Elle a préféré une formule [p.406] générale qui pût s'adapter à l'évolution du droit international.
Il résulte donc de ces travaux qu'à côté des Conventions de Genève, une réglementation pénale pourrait intervenir, sur le plan international, pour réprimer les infractions à ces Conventions ; la sanction pénale s'en trouverait ainsi assurée par une double voie.
Parallèlement aux travaux de la Commission du Droit international, l'Assemblée générale des Nations Unies, lors de sa session de 1950, a constitué un Comité spécial chargé d'élaborer un projet de juridiction pénale internationale. Ce Comité, qui a siégé au cours de l'été 1951, a, en établissant le projet de statut d'une Cour pénale internationale, examiné quel serait le genre d'infractions dont cette Cour aurait à connaître. Tout en adoptant une formule très générale, il a envisagé que, parmi les infractions à soumettre à cette Cour, devraient figurer les infractions aux lois et coutumes de la guerre.
Notes: (1) [(1) p.397] L'article 10 du projet était ainsi
rédigé : « Ceux qui n'ayant pas le droit de porter
le brassard, le prendraient pour commettre des actes
d'espionnage, seront punis avec toute la rigueur des
lois militaires ». Une disposition analogue fut
proposée à la Conférence diplomatique de 1868 qui
étudia la revision de la Convention de Genève, mais
elle fut derechef écartée;
(2) [(2) p.397] ' Considérations sur la sanction pénale
à donner à la Convention de Genève ', par
G. Moynier, Genève 1893;
(3) [(1) p.398] Voir Paul Des Gouttes, ' Commentaire ',
p. 212;
(4) [(2) p.398] ' Actes de la Conférence de 1906 ',
pp. 158-200;
(5) [(1) p.399] Le Règlement de 1907 (art. 23 lettre f)
interdit d'user indûment des signes distinctifs de
la Convention de Genève;
(6) [(1) p.400] Voir ' Recueil de textes relatifs à
l'application de la Convention de Genève ';
(7) [(2) p.400] ' Actes de la Conférence de 1929 ',
pp. 332-336;
(8) [(1) p.402] Voici le texte de ces articles :
I. ' Mesures législatives '.
Les Hautes Parties contractantes s'engagent à
incorporer la présente Convention dans leur droit
national, à assurer la poursuite de tout acte
contraire à ses clauses, et à édicter les
dispositions propres à en réprimer les violations,
par des sanctions pénales ou par des mesures
disciplinaires appropriées.
Dans le délai de deux ans dès la ratification de
la présente Convention, les Parties s'engagent à
communiquer au Conseil fédéral suisse, pour
transmission à tous les Etats signataires ou
adhérents, la législation et les autres mesures
adoptées en exécution de cet article.
II. ' Violations graves '.
Sans préjudice de la disposition précédente,
les violations graves de la présente Convention
seront punies comme crimes contre le droit des gens
par les tribunaux de l'une quelconque des Parties
contractantes, ou par la juridiction internationale
dont elles auraient reconnu la compétence. Ces
violations sont notamment celles entraînant la mort,
des souffrances inhumaines, une atteinte grave à
l'intégrité physique ou à la santé, à la
liberté ou à la dignité des personnes, des
destructions importantes de biens, ou celles qui, par
leur nature ou leur répétition, manifestent un
mépris systématique de la présente Convention.
Chaque Partie contractante établira,
conformément à l'article précédent, les règles
adéquates pour l'extradition des personnes
prévenues de telles infractions graves dans les cas
où elle ne les traduirait pas devant ses propres
tribunaux.
III. ' Ordre supérieur '.
Le fait, pour l'inculpé, d'avoir agi sur l'ordre
d'un supérieur ou en exécution d'une prescription
officielle, ne constitue pas une excuse légale si
l'accusation établit que, d'après les
circonstances, l'inculpé pouvait raisonnablement se
rendre compte qu'il participait à une violation de
la présente Convention. Toutefois, si les
circonstances le justifient, la peine pourra être
atténuée ou exclue à son égard.
L'auteur de l'ordre coupable en reste pleinement
responsable, même s'il a agi dans l'exercice d'une
fonction d'Etat.
IV. ' Garanties '.
Les Hautes Parties contractantes s'engagent à ne
déférer les personnes inculpées d'une violation de
la présente Convention, quelle que soit leur
nationalité, à aucune juridiction exceptionnelle,
et à ne pas leur appliquer des dispositions
répressives et de procédure plus défavorables que
celles visant leurs propres ressortissants ou qui
seraient contraires aux principes généraux du droit
et de l'humanité. Elles assureront aux inculpés
tous les droits de défense et de recours prévus par
le droit commun.
Les garanties de procédure et de libre défense
ne doivent en aucun cas être inférieures à celles
prévues par les articles 95 et suivants de la
Convention relative au traitement des prisonniers de
guerre.
Des garanties similaires seront assurées en cas
de renvoi à une juridiction internationale;
(9) [(1) p.404] Voici le texte de cet amendement dans les
' Actes de la Conférence ', III, p. 42 :
' Article A '. « Dans la mesure où l'application de
la présente Convention n'est pas assurée d'une
autre manière, les Hautes Parties contractantes
s'engagent à prendre, conformément à leurs
constitutions respectives, les mesures législatives
nécessaires, pour déterminer les peines applicables
aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de
commettre l'une ou l'autre des infractions graves
définies à l'article suivant.
« Chaque Partie contractante aura l'obligation de
rechercher les personnes prévenues d'avoir commis ou
d'avoir ordonné de commettre l'une ou l'autre des
infractions graves ci-dessus mentionnées, et elle
devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle
que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si
elle le préfère, les remettre, pour être jugées,
à une autre Partie contractante intéressée à la
poursuite, pour autant que cette Partie contractante
ait retenu contre lesdites personnes une inculpation
paraissant fondée à première vue. Chaque Partie
contractante prendra les mesures nécessaires en vue
de la répression de tous les actes contraires aux
dispositions de la présente Convention autres que
les infractions graves ci-dessus mentionnées. »
' Article B '. « Les infractions graves visées par
l'article précédent sont celles qui comportent l'un
ou l'autre des actes suivants s'ils sont commis à
l'encontre de personnes ou de biens protégés par la
Convention :
Convention « blessés et malades »
« L'homicide intentionnel, la torture ou les mauvais
traitements, y compris les expériences biologiques,
le fait de causer intentionnellement de grandes
souffrances ou de porter des atteintes graves à
l'intégrité physique ou à la santé, la
destruction de biens illicite, délibérée et de
grande envergure, non justifiée par des nécessités
militaires. »