Règle 97. L’emploi de boucliers humains est interdit.Volume II, chapitre 32, section J.
Selon la pratique des États, cette règle constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les conflits armés tant internationaux que non internationaux.
Dans le contexte des conflits armés internationaux, cette règle est formulée dans la IIIe Convention de Genève (à l’égard des prisonniers de guerre), dans la IVe Convention de Genève (à l’égard des personnes civiles protégées) et dans le Protocole additionnel I (à l’égard des civils en général)
[1]. Selon le Statut de la Cour pénale internationale, «le fait d’utiliser la présence d’un civil ou d’une autre personne protégée pour éviter que certains points, zones ou forces militaires ne soient la cible d’opérations militaires» constitue un crime de guerre dans les conflits armés internationaux
[2].
L’interdiction d’employer des boucliers humains figure dans un nombre considérable de manuels militaires, dont bon nombre étendent la portée de l’interdiction à toutes les personnes civiles
[3]. L’emploi de boucliers humains constitue une infraction pénale à la législation de nombreux États
[4]. Cette pratique comprend celle d’États qui ne sont pas, ou qui n’étaient pas à l’époque, parties au Protocole additionnel I ni au Statut de la Cour pénale internationale
[5]. En 1990 et en 1991, l’emploi par l’Irak de prisonniers de guerre et de civils comme boucliers humains a été largement condamné par les États, et les États-Unis ont déclaré que cet emploi constituait un crime de guerre
[6]. L’emploi de prisonniers de guerre comme boucliers humains pendant la Seconde Guerre mondiale a fait l’objet de procès pour crimes de guerre devant le Tribunal militaire britannique à Lüneberg dans l’affaire
Karl Student en 1946 et par le Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg dans l’affaire
Wilhelm von Leeb et autres (affaire du haut commandement) en 1948
[7]. Dans l’affaire
Radovan Karadžić, Ratko Mladić, examinée en 1995 par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, les prévenus ont été accusés de crimes de guerre pour avoir employé des membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies comme boucliers humains. Dans son examen des actes d’accusation, le Tribunal a maintenu ce chef d’accusation
[8].
En ce qui concerne les conflits armés non internationaux, le Protocole additionnel II ne mentionne pas explicitement l’emploi de boucliers humains, mais une telle pratique serait interdite par l’exigence que «la population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires»
[9]. Il est significatif, en outre, que l’emploi de boucliers humains ait souvent été jugé comme équivalant à une prise d’otages
[10], pratique interdite par le Protocole additionnel II
[11] et par le droit international coutumier (voir règle 96). Qui plus est, le fait d’employer délibérément des personnes civiles pour protéger des opérations militaires est contraire au principe de la distinction, et contrevient à l’obligation de séparer, dans la mesure de ce qui est pratiquement possible, les personnes civiles et les objectifs militaires (voir règles 23 et 24).
Plusieurs manuels militaires applicables dans les conflits armés non internationaux interdisent l’emploi de boucliers humains
[12]. La législation de plusieurs États définit comme une infraction pénale l’emploi de boucliers humains dans des conflits armés non internationaux
[13]. L’emploi de boucliers humains dans des conflits armés non internationaux a été condamné par des États ainsi que par les Nations Unies, par exemple en ce qui concerne les conflits au Libéria, au Rwanda, en Sierra Leone, en Somalie, au Tadjikistan et en ex-Yougoslavie
[14].
Aucune pratique officielle contraire n’a été constatée.
Le CICR s’est adressé aux parties à des conflits armés tant internationaux que non internationaux pour leur rappeler l’interdiction d’employer des boucliers humains
[15].
Le droit international des droits de l’homme n’interdit pas l’emploi de boucliers humains en tant que tel, mais cette pratique constituerait, entre autres, une violation du droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie, droit auquel aucune dérogation n’est admise (voir le commentaire de la règle 89). Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’homme et les organismes régionaux de défense des droits de l’homme ont indiqué que ce droit comprend non seulement le droit de ne pas être tué, mais aussi le devoir de l’État de prendre des mesures pour protéger la vie
[16]. Dans l’affaire
Demiray c. Turquie, dans laquelle la requérante avait fait valoir que son mari avait servi de bouclier humain, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que «l’article 2 (…) peut, dans certaines circonstances bien définies, mettre à la charge des autorités compétentes l’obligation positive de prendre des mesures d’ordre pratique afin de protéger l’individu qui est sous leur responsabilité»
[17].
L’interdiction d’employer des boucliers humains telle qu’elle figure dans les Conventions de Genève, dans le Protocole additionnel I et dans le Statut de la Cour pénale internationale, mentionne l’utilisation de la présence (ou des déplacements) de personnes civiles ou d’autres personnes protégées pour mettre certains points ou certaines régions (ou certaines forces militaires) à l’abri des opérations militaires
[18]. La plupart des exemples cités dans les manuels militaires — ou qui ont fait l’objet de condamnations — sont des cas où des personnes ont en réalité été emmenées sur des objectifs militaires afin de protéger ces objectifs contre des attaques. Les manuels militaires de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni donnent à titre d’exemple le fait de placer des personnes dans des convois ferroviaires transportant des munitions ou à proximité de ces convois
[19]. Les menaces brandies par l’Irak de rassembler et de placer des prisonniers de guerre et des civils dans des sites stratégiques et autour de points de défense militaires ont suscité de nombreuses condamnations
[20]. Les autres condamnations relatives à cette interdiction concernaient des rassemblements de civils placés devant des unités militaires dans les conflits en ex-Yougoslavie et au Libéria
[21].
Dans son examen des actes d’accusation dans l’affaire
Radovan Karadžić, Ratko Mladić, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a qualifié d’emploi de «boucliers humains» le fait d’avoir placé physiquement, ou maintenu d’une autre manière contre leur gré, des membres des forces de maintien de la paix sur des sites représentant des cibles potentielles de frappes aériennes de l’OTAN, parmi lesquels des dépôts de munitions, un site d’installations radar et un centre de communications
[22].
On peut conclure que l’emploi de boucliers humains exige la coexistence délibérée en un même lieu d’objectifs militaires et de personnes civiles ou hors de combat, associée à l’intention spécifique d’essayer d’empêcher que ces objectifs militaires soient pris pour cible.