Règle 159. À la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir doivent s’efforcer d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part à un conflit armé non international ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, à l’exception des personnes soupçonnées ou accusées de crimes de guerre ou condamnées pour crimes de guerre.Volume II, chapitre 44, section D.
Selon la pratique des États, cette règle constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les conflits armés non internationaux.
L’obligation des autorités au pouvoir de s’efforcer d’accorder la plus large amnistie possible à la fin des hostilités est inscrite dans le Protocole additionnel II
[1]. Depuis son adoption, de nombreux États ont accordé l’amnistie à des personnes qui avaient pris part à un conflit armé non international, que ce soit en vertu d’un accord spécial
[2], par mesure législative
[3], ou par d’autres mesures
[4].
Le Conseil de sécurité de l’ONU a encouragé de telles amnisties, par exemple en relation avec la lutte contre l’
apartheid en Afrique du Sud et les conflits en Angola et en Croatie
[5]. De la même manière, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté des résolutions encourageant des amnisties de ce type en rapport avec les conflits en Afghanistan et au Kosovo
[6]. En outre, la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme a adopté des résolutions à cet effet en rapport avec la Bosnie-Herzégovine et le Soudan
[7]. Certains organismes régionaux se sont félicités de telles amnisties, par exemple l’Union européenne et l’OTAN au sujet de l’ex-République yougoslave de Macédoine, et l’OSCE en ce qui concerne le Tadjikistan
[8]. Il faut relever que les résolutions adoptées par les Nations Unies concernaient des États non parties au Protocole additionnel II (l’Afrique du Sud, qui n’a ratifié le Protocole qu’en 1995, l’Angola, l’Afghanistan et le Soudan), et que les États qui ont voté en faveur de cette résolution n’étaient pas tous eux-mêmes parties au Protocole additionnel II.
À l’exception des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a appelé le gouvernement sud-africain à accorder des amnisties aux opposants de l’apartheid, les autres résolutions adoptées par les Nations Unies et les déclarations des organismes régionaux prennent la forme d’un encouragement à accorder l’amnistie ou d’une approbation des décisions d’amnistie adoptées. Ceci montre que les autorités ne sont pas absolument obligées d’accorder une amnistie à la fin des hostilités, mais qu’elles doivent considérer cette question avec beaucoup d’attention et s’efforcer d’accorder une telle amnistie.
Lorsque l’article 6, paragraphe 5 du Protocole additionnel II a été adopté, l’URSS a déclaré, dans son explication de vote, que cette disposition ne pouvait être interprétée comme permettant, en quelque circonstance que ce soit, aux criminels de guerre et aux personnes ayant commis des crimes contre l’humanité d’échapper à un châtiment sévère
[9]. Le CICR partage cette interprétation
[10]. De telles amnisties seraient aussi incompatibles avec la règle qui oblige les États à enquêter et à poursuivre les personnes suspectées d’avoir commis des crimes de guerre dans des conflits armés non internationaux (voir règle 158).
La plupart des amnisties excluent spécifiquement de leur champ d’application les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre ou d’autres crimes spécifiquement cités en droit international
[11]. Dans l’affaire
Videla en 1994, la Cour d’appel de Santiago, au Chili, a jugé que les infractions dont elle avait à connaître constituaient des infractions graves qui ne pouvaient faire l’objet d’une amnistie
[12]. Dans l’affaire
Mengistu et autres, en 1995, le Procureur spécial d’Éthiopie a déclaré que «c’est une coutume et une conviction bien établie que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne peuvent être amnistiés»
[13]. Cette conception a été confirmée dans l’affaire
Cavallo en 2001 par le Juge fédéral d’Argentine au sujet des crimes contre l’humanité
[14]. Dans l’affaire
Azapo en 1996, cependant, qui portait sur la légalité de la création de la Commission vérité et réconciliation, la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud a considéré que l’article 6, paragraphe 5 du Protocole additionnel II contenait une exception à la règle absolue interdisant une amnistie en matière de crimes contre l’humanité
[15]. Il convient toutefois de noter que les activités de la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud n’ont pas débouché sur des mesures d’amnistie générale, puisqu’elle a exigé la divulgation complète de tous les faits pertinents
[16].
Le Conseil de sécurité de l’ONU a confirmé, dans des résolutions sur la Croatie et la Sierra Leone, que les amnisties ne pouvaient s’appliquer à des crimes de guerre
[17]. Dans une résolution sur l’impunité adoptée sans vote en 2002, la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme a défendu le même point de vue
[18], de même que le Secrétaire général de l’ONU dans plusieurs rapports
[19]. Certains organismes régionaux ont aussi déclaré que les amnisties ne pouvaient pas couvrir des crimes de guerre, en particulier le Parlement européen au sujet de l’ex-Yougoslavie
[20].
Il existe de la jurisprudence internationale à l’appui de la proposition selon laquelle les crimes de guerre ne peuvent faire l’objet d’une amnistie, en particulier le jugement rendu en 1998 par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans l’affaire
Furundžija au sujet de la torture
[21].
Des organes des droits de l’homme ont déclaré que les amnisties étaient incompatibles avec le devoir des États d’enquêter sur les actes constituant des crimes au regard du droit international et sur les violations des dispositions du droit international des droits de l’homme auxquelles il est impossible de déroger. Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’homme, par exemple, a fait une telle déclaration dans son Observation générale sur l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (interdiction de la torture)
[22]. Dans une affaire concernant la loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix, adoptée en 1993 par El Salvador, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a jugé que cette loi violait la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ainsi que l’article 3 commun aux Conventions de Genève et le Protocole additionnel II
[23]. Dans son jugement rendu en 2001 dans l’affaire
Barrios Altos concernant la légalité des lois d’amnistie du Pérou, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que les mesures d’amnistie concernant de graves violations des droits de l’homme telles que la torture, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées étaient inadmissibles, parce qu’elles violaient des droits n’admettant aucune dérogation
[24].