Règle 128.A. Les prisonniers de guerre doivent être libérés et rapatriés sans délai après la fin des hostilités actives.B. Les internés civils doivent être libérés dès que les causes qui ont motivé leur internement cessent d’exister, mais en tout cas dans les plus brefs délais possibles après la fin des hostilités actives.C. Les personnes privées de leur liberté en relation avec un conflit armé non international doivent être libérées dès que les causes qui ont motivé leur privation de liberté cessent d’exister.La privation de liberté de ces personnes peut se poursuivre si des procédures pénales sont en cours à leur encontre ou si elles purgent une peine qui a été prononcée dans le respect de la loi.Volume II, chapitre 37, section K.
Selon la pratique des États, ces règles constituent des normes de droit international coutumier, applicables dans les conflits armés internationaux (A et B) et non internationaux (C), respectivement. Le refus de libérer des détenus lorsque les motifs qui ont entraîné leur privation de liberté ont cessé d’exister constituerait une violation de l’interdiction de la privation arbitraire de liberté (voir règle 99) et pourrait aussi constituer une prise d’otages (voir règle 96).
Le Règlement de La Haye prévoit que les prisonniers de guerre doivent être rapatriés dans le plus bref délai possible après la conclusion de la paix
[1]. La IIIe Convention de Genève exige la libération et le rapatriement des prisonniers de guerre sans délai après la fin des hostilités actives
[2].
Selon l’article 132 de la IVe Convention de Genève, toute personne internée doit être libérée dès que les causes qui ont motivé son internement n’existent plus; l’article 133 prévoit qu’en tout état de cause, l’internement doit cesser le plus rapidement possible après la fin des hostilités. L’article 132 encourage les parties au conflit à conclure, pendant la durée des hostilités, des accords en vue de la libération, du rapatriement, du retour au lieu de domicile ou de l’hospitalisation en pays neutre de certaines catégories d’internés ayant des besoins spéciaux (les enfants, les femmes enceintes et les mères avec nourrissons et enfants en bas âge, les blessés et malades ou les internés ayant subi une longue captivité)
[3].
«Tout retard injustifié dans le rapatriement des prisonniers de guerre ou des civils» constitue une infraction grave au Protocole additionnel I
[4].
L’obligation fondamentale de rapatrier les prisonniers sans délai après la fin des hostilités actives est contenue dans un certain nombre d’autres traités
[5].
Un nombre considérable de manuels militaires spécifient l’obligation de rapatrier les prisonniers après la fin des hostilités (actives)
[6]. Un délai injustifiable dans le rapatriement des prisonniers constitue une infraction à la législation dans un nombre considérable d’États
[7]. Cette règle est étayée par la pratique rapportée
[8]. Elle a été réaffirmée à de nombreuses reprises par l’ONU et par d’autres organisations internationales
[9].
La Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a appelé à plusieurs reprises au respect de cette règle. À titre d’exemple, le Plan d’action pour les années 2000-2003, adopté en 1999 par la XXVIIe Conférence internationale, appelle toutes les parties à un conflit armé à s’assurer :
que les prisonniers de guerre sont libérés et rapatriés sans délai après la cessation des hostilités actives, à moins qu’ils ne fassent l’objet d’une procédure judiciaire régulière; que l’interdiction de prendre des otages est strictement respectée; que la détention des prisonniers et des internés n’est pas prolongée à des fins de négociations, cette pratique étant interdite par les Conventions de Genève
[10].
La pratique qui établit la nature coutumière de cette règle dans les conflits armés non internationaux consiste en de nombreux accords conclus, par exemple, dans le contexte des conflits en Afghanistan, en Angola, en Bosnie-Herzégovine, au Cambodge, en El Salvador, au Libéria, au Mozambique, au Rwanda et en Tchétchénie
[11]. L’accord Esquipulas II prévoyait la libération par «les forces irrégulières de chaque pays» de toutes les personnes qu’elles détiendraient en leur pouvoir, en même temps que la promulgation de décrets d’amnistie
[12].
Un délai injustifiable dans le retour au foyer des personnes détenues en relation avec un conflit armé non international constitue une infraction à la législation dans quelques États
[13]. Cette règle est étayée par des déclarations officielles et d’autres type de pratique, qui se félicitent des libérations de détenus lorsqu’elles se produisent, exigent des libérations (supplémentaires) ou condamnent les parties qui ne font pas preuve de coopération en la matière
[14]. On connaît aussi des cas de libération de personnes détenues en relation avec des conflits armés non internationaux, par exemple en Colombie, au Nigéria et au Rwanda
[15].
L’ONU et d’autres organisations internationales ont à diverses reprises souligné l’importance de la libération des personnes détenues en relation avec des conflits armés non internationaux, par exemple en Afghanistan, en Angola, en Bosnie-Herzégovine, au Tadjikistan et en Tchétchénie
[16]. Des groupes d’opposition armés ont aussi indiqué qu’ils souhaitaient se conformer à cette règle; dans certains cas, ils y sont incités par leur incapacité de détenir les prisonniers dans des conditions de sécurité
[17].
Comme il ressort clairement de sa formulation, cette règle ne s’applique pas aux personnes à l’encontre desquelles des procédures pénales sont en cours, ni à celles qui ont été condamnées dans le respect de la loi et qui purgent une peine de prison en relation avec le conflit armé. Ce point est reflété dans un certain nombre d’accords
[18]. Par conséquent, les personnes qui ont été légalement condamnées et qui purgent une peine pour des raisons liées au conflit armé peuvent rester en détention après la fin des hostilités, mais la possibilité d’une amnistie devrait être envisagée à leur sujet, sauf si elles ont été condamnées pour crime de guerre (voir règle 159).
Selon la IVe Convention de Genève, une personne protégée ne peut être transférée dans un pays «où elle peut craindre des persécutions en raison de ses opinions politiques ou religieuses»
[19]. Bien que la IIIe Convention de Genève ne contienne pas de disposition similaire, la pratique depuis 1949 s’est développée de telle manière que dans tous les rapatriements où le CICR a joué un rôle d’intermédiaire neutre, les parties au conflit — que celui-ci soit international ou non international — ont accepté les conditions posées par le CICR pour sa participation, y compris le principe selon lequel le CICR doit pouvoir vérifier, avant le rapatriement (ou avant la libération dans le cas d’un conflit armé non international), au moyen d’un entretien confidentiel avec les personnes concernées, qu’elles souhaitent bien être rapatriées (ou libérées)
[20].
La pratique montre que la libération se produit souvent en application d’un accord conclu au terme d’un conflit, sur la base d’un échange bilatéral
[21]. Chaque phase du processus de libération se déroule presque toujours avec la participation d’un intermédiaire neutre — qui est en général le CICR —, depuis la négociation sur la libération des personnes jusqu’à la supervision de la libération proprement dite, ou même la prise en charge des ex-détenus juste après leur libération. La pratique souligne que les parties qui prennent part à ce type d’échanges doivent coopérer de bonne foi avec le CICR ou avec les autres intermédiaires
[22]. Une pratique similaire a aussi été rapportée en ce qui concerne l’Angola
[23], la Colombie
[24], El Salvador
[25], le Rwanda
[26], la Somalie
[27] et le Soudan
[28]. Le Conseil de sécurité de l’ONU et la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme, ainsi que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ont appelé les parties à coopérer avec le CICR en matière de libération de détenus
[29].
La pratique montre que la responsabilité de l’ancienne puissance détentrice ne disparaît pas au moment de la libération, mais continue à s’exercer pour assurer la sécurité des personnes pendant leur retour et leur fournir des moyens de subsistance pendant la durée du voyage. La IIIe Convention de Genève exige que les rapatriements des prisonniers de guerre soient effectués dans des conditions aussi humaines que le transfert des prisonniers
[30]. Le Protocole additionnel II dispose que «s’il est décidé de libérer des personnes privées de liberté, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ces personnes seront prises par ceux qui décideront de les libérer»
[31]. Cette dernière exigence se retrouve dans l’accord d’échange de prisonniers conclu entre la Croatie et la République socialiste fédérative de Yougoslavie (mars 1992)
[32], ainsi que dans un certain nombre de manuels militaires qui sont applicables ou qui ont été appliqués dans des conflits armés non internationaux
[33], dans la législation nationale qui prévoit la sanction des violations du Protocole additionnel II
[34], ainsi que dans une déclaration du Président du Conseil de sécurité de l’ONU
[35].
En ce qui concerne le sens de l’expression «fin des hostilités actives», à l’article 118 de la IIIe Convention de Genève, le manuel militaire de l’Allemagne stipule que ceci n’exige ni un accord officiel d’armistice, ni la signature d’un traité de paix
[36].
N.B. Le rapatriement direct et l’hospitalisation en pays neutre des prisonniers de guerre ayant des besoins spéciaux sont régis par les articles 109 à 117 de la IIIe Convention de Genève
[37]. Les obligations contenues dans ces dispositions sont indépendantes de la règle qui exige la libération et le rapatriement à la fin des hostilités actives.